Que retenir de la vague d’appel au départ des troupes françaises d’Afrique et comment se présenteront les relations France-Afrique après les propos virulents d’Emmanuel Macron et ceux du Sénégal et du Tchad ? Dans cet entretien, Landry Kuyo, un analyste politique revient sur cet épisode dans les relations entre la France et l’Afrique, et tente de donner des éléments de réponse.
À la cérémonie d’ouverture de la conférence annuelle des ambassadeurs à Paris, le président Emmanuel Macron a tenu un discours assez particulier qui suscite aujourd’hui beaucoup de réactions tant en Afrique qu’en Europe. Que faut-il comprendre désormais dans les relations entre ces différents pays africains qui ont évoqué le retrait des forces militaires et le président français ?
Je voudrais plutôt me concentrer sur le sort que la Côte d’Ivoire réservera de ses relations avec la France puisque chaque pays a ses réalités. L’Afrique n’est pas un continent homogène, uniformisé.
Il y a des particularités, même en termes d’accession à l’indépendance, chaque État, chaque peuple a connu un parcours, une démarche différente.
La Côte d’Ivoire, elle, a fait le choix d’une démarche pacifique et a maintenu ses relations avec l’État français, lesquelles ont évolué d’un point de vue politique, diplomatique, économique.
Et lorsque l’on a connu une France pratiquement omniprésente au fil des années, l’État de Côte d’Ivoire s’est ouvert au reste du monde, au point où aujourd’hui la France représente certes un partenaire historique, mais n’est plus le premier partenaire.
Comment cela ?
Puisque l’État de Côte d’Ivoire, par rapport à ses ambitions, s’est tourné vers d’autres partenaires comme la Chine en vue de pouvoir satisfaire à ses besoins de puissance et c’est important déjà de le souligner.
Car beaucoup encore ont à l’esprit d’avoir une France omniprésente et dominante. Ce n’est plus le cas.
Et si nous décidons de pouvoir réévaluer ou restructurer ou revoir nos relations avec la France, ce n’est pas tant parce qu’elle connaîtra un déclin, mais c’est parce que dans notre volonté de puissance et de notre volonté de consolider notre souveraineté, nous portons légitimement l’ambition de pouvoir réviser nos rapports avec l’ancienne puissance coloniale qui a tout intérêt aujourd’hui à être vue, appréciée et appréhendée autrement.
Et c’est dans ce cadre-là que pendant plusieurs mois des réunions et des rencontres de haut niveau, impliquant des très hauts responsables, même au niveau gouvernemental ont eu lieu.
Ces rencontres ont eu lieu sur le territoire ivoirien en vue de pouvoir réorganiser la présence militaire de la France en Côte d’Ivoire et lui réattribuer de nouvelles missions, lesquelles participent du renforcement du cadre de formation et de perfectionnement de nos armées.
Il ne s’agit plus d’une présence à caractère défensif qui pourrait servir aux intérêts d’un régime, il s’agit plutôt d’une grande puissance que l’on sollicite sur des points spécifiques en vue de pouvoir accentuer le processus de modernisation de nos armées.
Et l’un des éléments notables, c’est la rétrocession du fameux 43e BIMA qui incarnait cette présence française ou étrangère en Côte d’Ivoire au profit de l’armée ivoirienne et qui est désormais rebaptisée Ouattara Thomas d’Aquin.
Quelle lecture faites-vous alors de la réaction du président français ?
Pour ce qui est de la réaction du président français Emmanuel Macron, il faut bien savoir que les relations entre États, certes, sont impactées par le leadership de leurs principaux, leurs premiers responsables et certaines déclarations.
Mais pour l’essentiel, il faut retenir que la Côte d’Ivoire et la France ont décidé d’une méthode qui consiste à agir de manière consensuelle et conjointe en vue de pouvoir réorganiser la présence militaire française en Côte d’Ivoire.
Et ici, la présence militaire française est de l’ordre de l’accompagnement technique et stratégique en vue de donner à notre armée les moyens d’être une armée puissante, capable de protéger le territoire ivoirien, sa population et les immenses richesses dont nous disposons.
Voici ce qu’il va falloir retenir et c’est ce qui est important de faire c’est d’éviter de nous concentrer sur des choses qui fâchent, qui en réalité sont portées par des personnes qui sont appelées à partir alors que la Côte d’Ivoire va leur suivre et que nous pouvons continuer à entretenir des relations qui vont forcément évoluer dans le bon sens.
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Il y a des réactions africaines suite aux propos du président français, notamment le Tchad de Sénégal, qui n’ont pas été aussi tendres, tout comme Emmanuel Macron ne l’a pas été. Faut-il craindre des tensions dans les rapports entre la France et ses pays où étaient basés les militaires français ?
Pas du tout. Vous savez, les relations entre les États connaissent des moments amoureux. Et même, lorsqu’on s’est aimé, il y a des moments de divorce. Il y a des moments où il y a un pic, où il y a des sautes d’humeur. C’est normal.
Et je comprends les réactions africaines. Parce que celle du président Macron, à la limite, est inacceptable. Elle est inélégante. C’est bien entendu ce qu’il va falloir retenir.
Mais au-delà, j’ai dit bien au-delà des réactions, il faudrait se projeter non pas se concentrer au niveau politique, mais au niveau de la gouvernance.
Après ça il y a quoi ? Après ça, est-ce qu’on va continuer à se côtoyer et à vivre ensemble ? Après Emmanuel Macron il y a aura d’autres présidents et d’autres gouvernements ? On ne va pas s’arrêter à cela.
Il va falloir tout simplement apprécier les choses en vue de pouvoir les corriger parce qu’en tout état de cause, le prochain président français aura forcément beaucoup à faire quant à restaurer l’image de la France et à construire une diplomatie qui entre dans le nouveau schéma d’évolution, d’épanouissement voire d’émancipation de nos Etats africains.
J’ai lu la réaction du Premier ministre sénégalais qui rappelait à la France que quand on parle de souveraineté, elle n’a de leçon à faire à personne. Parce qu’il a bien fallu qu’elle ai l’aide étrangère des Etats-Unis et surtout de l’Afrique afin qu’elle soit ce qu’elle est aujourd’hui d’un point vue territorial, d’un point de vue culturel, d’un point de vue historique.
Cela fait partie de l’histoire des nations. Qui d’entre nous n’a pas eu besoin de l’autre ? Mais il est élégant lorsque l’on s’adresse aux uns et aux autres quel que soit les circonstances de pouvoir mettre de côté ses égos, ses humeurs et puis d’incarner le pays que l’on représente.
Mettre de côté ses égos, ses humeurs et puis d’incarner le pays que l’on représente est l’idéal, mais à quoi va ressembler maintenant les relations France-Afrique au regard de ce que les uns et les autres ont dit ?
Il faut un travail de mémoire, un travail qui se fait sans passion. Il faudrait que l’on puisse s’asseoir et discuter de ce que nous sommes aujourd’hui par rapport à ce que nous étions hier, de ce que nous voulons pour demain pour nos enfants.
Il me revient très souvent de rappeler les propos de Félix Houphouët-Boigny qui annonçait déjà cette période. C’était à cette fameuse conférence de presse où il était avec Mitterrand et Mobutu Sese Seko.
Il disait que dans 30 ans ou 40 ans, les enfants pour qui nous avons apprêter un système éducatif en capacité de pouvoir grandir en sagesse, en intelligence et en assurance, auront à discuter avec les français, avec les américains, avec le monde occidental d’égal à égal.
Ils n’auront plus le complexe d’infériorité. Ils ne vont non plus développer un complexe de supériorité. Ils ne vont pas mendier la compassion de l’occident, ils ne vont pas mendier leur repentance.
Ils vont imposer le respect à défaut de l’inspirer. Aujourd’hui, l’Afrique manifeste le respect ou exige le respect. À défaut, elle va l’inspirer ou l’imposer. Cela dépendra de comment est-ce que celui qui est en face aura à réagir.
La Côte d’Ivoire inspire le respect, dans d’autres pays on a vu que le respect s’est imposé. Mais en tout état de cause, ces moments passeront et on va s’asseoir et revisiter et se donner les moyens en toute intelligence de construire un ordre d’échange de partenariat qui nous permettra de vivre en bonne intelligence.
Réalisé par Richard Yasseu